Intervention de Sandro Gozi à l’occasion des 1 an du conflit en Ukraine
On croyait en être débarrassé. On avait perdu de vue que la guerre n’est pas un vieux truc enfoui définitivement dans la malle du passé. En fait, depuis 70 ans, nous pensions vivre, sans ennemis, ni frontières. Pire, la guerre de Yougoslavie, fut-elle pourtant dure et violente, a été considérée par la plupart des Européens que comme une parenthèse aux portes de notre Communauté. J’ai vu et vécu en direct les désastres de cette guerre et la tragédie de Sarajevo, mais même ces horreurs n’arrivèrent pas à bousculer vraiment les opinions publiques européennes. Ainsi, depuis 1945, nous étions donc devenus les enfants gâtés de la paix. Nous flottions dans un temps d’insouciance éternel… jusqu’à ce 24 février, retour du tragique sur notre continent.
A l’heure de ce sinistre anniversaire il n’est pas question d’entreprendre une analyse Girardienne pour expliquer la rage mimétique des hommes qui les pousse à convoiter et haïr l’individu ou le pays d’à côté.
L’heure n’est pas au décryptage mais en revanche il nous oblige à nous dépasser. Force est de constater que cette invasion Russe en Ukraine est indubitablement le levier le plus puissant en terme d’union et d’intégration. Monsieur Zelensky, face à l’indicible, a su réveiller tout à la fois une unité nationale exceptionnelle et s’ancrer plus encore dans les valeurs européennes. Ce conflit a fait naître une solidarité par la peur qui a renforcé notre solidarité européenne face à l’envahisseur.
Out of this conflict came a solidarity through fear that strengthened our European solidarity in the face of the invader.
« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » disait Carl Von Clausewitz. Aujourd’hui, je crois que nous pouvons ajouter aux mots du théoricien militaire « et inversement ».
En effet, la politique n’est-elle pas une continuation de la guerre ? Je le crois.
Empruntons donc les pas des Pères fondateurs qui, au sortir de la guerre, ont pensé l’Europe. Ayons le courage de penser l’Europe de demain avec ce même logiciel.
Le temps est venu de dépasser le mécanisme émotionnel et de réconcilier l’idée d’Europe avec celle de puissance. Cette puissance à laquelle l’Ukraine et d’autres pays rêvent de s’amarrer. Mais, il faut du réalisme : pour les accueillir correctement nous devons revoir nos traités qui ont été imaginés au siècle dernier pour une Europe à 6, pas pour une Europe à 27, à 30 ou 35 pays. Ce conflit nous oblige à une profonde révision de notre organisation politique et institutionnelle. L’Union européenne ne peut plus souffrir des limitations imposées par sa structure institutionnelle, sa répartition des compétences imparfaite et son processus de décision inadapté à la construction d’une Union véritablement politique et fédérale.
Il nous faut dépasser le faux débat entre souveraineté nationale et souveraineté européenne. Il nous faut la volonté d’avancer tous, unis, d’un pas de géant sur une politique de défense commune. La « souveraineté stratégique européenne » est plus que nécessaire. Tout le monde doit comprendre, que sans une Europe souveraine, dotée d’une capacité d’action réelle, nous courons le risque de perdre l’Europe mais aussi les États.
Depuis le 24 février 2022, le continent européen a annihilé toutes ses certitudes et illusions sur la non-réitération des horreurs du XXe siècle. La paix n’est pas perpétuelle, la guerre ne doit pas l’être non plus. L’Histoire nous invite à un nouveau moment constituant… écoutons-là.
